Mémoire - Jonathan Coryn

Validé par - Geoffroy de Lagasnerie

 

 

2017-2018

 

 

 

 

 

 

 

JEUX. JE. VIDÉO.

 

(game studies, play studies, art studies)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Dans ce mémoire, je veux comprendre ce que le jeu vidéo a de si particulier, ce qui le rend exceptionnel car je le considère en tant qu’artiste comme un formidable moyen d’expression, mais aussi comme la forme d’art qui m'a le plus ému et construit dans ma vie. Je veux comprendre quelles sont les singularités du jeu vidéo pour mieux comprendre comment le penser en tant qu’artiste.

Le jeu vidéo, c’est la promesse quasi systématique de l’amusement et de choses qui nous sont positives. Pour jouer aux jeux vidéo il faut être volontaire. On ne peut imposer le jeu à personne et le jeu vidéo ne peut pas exister sans ses joueurs, sans que ses spectateurs jouent, ce qui donne au joueur/spectateur cette relation si unique de consentement avec le jeu vidéo.

Mon mémoire se posera des questions similaires que celles posées dans Philosophie des jeux vidéo de Mathieu Triclot qui essaye de définir très précisément ce qui fait la spécificité des jeux vidéo dans une approche très large. Cependant je focalise ici volontairement mon étude sous un angle de compréhension d’un médium en tant qu’art. En tant qu’étudiant en école d’art et artiste en devenir au bout de ces 5 années passées aux beaux arts de Cergy, il est essentiel selon moi de comprendre le sens des formes esthétiques que je produis et qui se produisent avec les joueurs. D’autant plus que j’utilise un médium plutôt récent, encore assez peu théorisé et souvent méprisé dans le monde de l’art contemporain. Pourtant il s’agit du format culturel le plus consommé/utilisé dans le monde aujourd’hui. Il faut selon moi que les artistes s’en emparent (ce qui est de plus en plus le cas) mais aussi qu’ils comprennent le sens de ce qu’ils produisent. (Et d’ailleurs je pourrais dire ça de toutes les autres formes d’art.)

 

 

 

 

 

     Introduction

 

 

C’est dans Homo Ludens, en 1938, que Johan Huizinga décide de définir le jeu comme un phénomène culturel qui existe en soi. Il ne l’aborde volontairement pas sous un angle psychologique, biologique, car d’après lui, le jeu ne se produit pas en fonction d’autre chose, rien ne cause le jeu. Il est une fin en soi, est de nature esthétique. Voici comment il le définit :

 

“(Il faut)...définir le jeu comme une action libre, sentie comme « fictive » et située en dehors de la vie courante, capable néanmoins d'absorber totalement le joueur; une action dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité; qui s'accomplit en un temps et dans un espace expressément circonscrits, se déroule avec ordre selon des règles données, et suscite dans la vie des relations de groupes s'entourant volontiers de mystère ou accentuant par le déguisement leur étrangeté vis-à-vis du monde habituel.

La fonction du jeu, sous les formes supérieures envisagées ici, peut, pour la plus grande part, se ramener immédiatement à deux aspects essentiels. Le jeu est une lutte pour quelque chose, ou une représentation de quelque chose. Ces deux fonctions peuvent également se confondre, en ce sens que le jeu « représente » un combat pour quelque chose, ou bien est un concours, qui peut le mieux rendre quelque chose.”

 

Huizinga insiste également beaucoup sur le fait qu’on a tendance à attribuer le jeu à l’animal ou l’enfant, que le jeu pour les adultes est à l’opposé du sérieux. Pourtant, il l’explique dans Homo Ludens, il est possible de jouer dans le plus grand des sérieux. Tout ce discours qui cherche à trouver une utilité biologique ou psychologique au jeu s’enfermera systématiquement dans ce système de pensée. Un adulte, censé être sérieux et construit n’aurait donc aucun intérêt à jouer si ce jeu n’était pas sa propre fin en soi, comme peut l’être un objet culturel, un objet d’art.

Bien sûr, analyser les répercussions psychologiques du jeu sont très intéressantes et nous le feront plus tard. Cependant pour commencer il est nécessaire d’affirmer que le jeu se suffise à lui-même, autrement il risque de se retrouver enfermé dans une vision qui le décrit comme quelque chose d’uniquement utile, ou alors futile (ce qui explique, en partie, le regard condescendant qu’ont beaucoup de gens à l’égard de la place du jeu dans l’art).

 

Huizinga parle de jeu dans sa définition générale mais le sujet plus spécifique qui m’importe ici est le jeu vidéo, à savoir un jeu et une vidéo, une suite d'images accompagnée de sons. La vidéo peut être découpée par plans et narrer un récit, une histoire. Dans le jeu vidéo, cette vidéo sera comme intriquée avec un jeu, par l'intermédiaire d’une machine, qui nous permettra d’agir en temps réel sur ce jeu et cette représentation. Huizinga explique que le jeu donne des règles et des buts à son spectateur (les mécaniques de jeu) et l’invite à représenter, à jouer cette lutte pour ces buts en fonction de ces règles données. Comment, dans ce cas, ces choses peuvent elles s’appliquer à une vidéo ? Quelle sera alors la singularité de ce mélange ? Comment le jeu vidéo peut il se montrer pertinent, comparé à un jeu, ou à une vidéo ? A partir de ces question peut se construire une pensée et dévoiler certains aspects du jeu vidéo.

Le joueur, immergé dans la représentation de choses interactives, peut interagir avec ce contenu vidéo par l’intermédiaire d’une machine et produira donc une représentation (les actions du joueur) au-dessus d’une représentation donnée (la vidéo). On pourra alors se demander où se situe l’objet jeu vidéo. Comme l’explique Mathieu Triclot dans Philosophie des jeux vidéo, les théoriciens du jeu vidéo ont souvent du mal à théoriser où se situe l’objet du jeu vidéo précisément parce qu'il se trouve dans un entre deux. Il n’est “ni tout à fait en nous-mêmes (joueurs) ni tout à fait à l’écran, mais dans une zone intermédiaire, un entre-deux. Décrire ce qui se passe sur l’écran, sans jouer, objectiver le système des règles, sans jouer, cela ne suffit jamais à caractériser l’expérience du jeu.”

D’un point de vue artistique, un objet qui se situe entre l’écran (ou la toile, ou l’enceinte) et son spectateur qui devient acteur, est tout à fait étrange et change de fait comment on peut appréhender la création d’un tel objet en tant qu’artiste. Un question s’impose ici, quels sens, quelles idées peuvent véhiculer de tels objets ?

 

 

Il sera important dans un premier temps de voir comment le fait que le joueur devienne acteur d’une représentation donnée (la vidéo) changera la nature même de cette représentation. Le corps virtuel donné et notre corps réel s’imbriquent et deviennent grâce à la machine le vecteur principal de représentation et d’interactivité dans le jeu vidéo. Celui ci étant essentiel pour comprendre la singularité du jeu vidéo, nous essaierons de comprendre les mécanismes du corps dans le jeu vidéo. Nous pourrons alors nous attarder sur les choix de représentations de corps donné aux joueurs, qui sont souvent pensés commercialement et donc pour un public Américain, masculin, blanc et hétéro.

 

À partir de ça nous allons essayer de comprendre le rôle la deuxième partie qui va caractériser un jeu vidéo : ses buts et ses règles données. Comment ces mécaniques de jeu créent des enjeux tout à fait singuliers au jeu et en quoi, encore une fois, le fait de mélanger ces mécaniques de jeu à une vidéo interactive va complexifier la nature de ces enjeux et leur donner souvent du sens.

 

Nous aurons donc compris comment envisager cet objet étrange qui se situe entre l’écran et son joueur, comment envisager ensemble une vidéo, des règles de jeu et des interactions données par le joueur. Nous serons alors en mesure de comprendre comment il se dégage beaucoup de sens de ces jeux vidéo. Comment différents jeux vidéo sont conscients ou non des idéologies qu’ils véhiculent. Ainsi, dans une approche artistique nous serons en mesure de comprendre le sens que nous donnons avec telle ou telle esthétique, mêlée à tel ou tel système de jeu et ce qu’en fera le joueur. On pourra penser le jeu vidéo comme un tout, sans séparer sa partie mécanique de jeu de sa partie vidéo et de sa partie interactive avec le joueur et comment les trois ensembles disent des choses et ainsi utiliser le jeu vidéo comme un moyen d’expression, comme un art.

 

Autour de ces différents axes graviteront des études de cas, qui mettront en lumière ces différentes études plus larges.

 

 

 

 

 

     1-Nature de la représentation dans jeu vidéo et première immersion : le corps.

 

 

Huizinga explique qu’une des fonction du jeu c’est la représentation. Dans le jeu traditionnel, c’est aux joueurs eux même qu’il appartient de représenter, de jouer les choses. Ils sont en représentation et il en sort une esthétique. Parfois, la représentation est donnée par le biais d’une image, mais figée, comme dans un jeu d’échecs. Que se passe-t-il quand la représentation nous est donnée par le biais d’une vidéo ? Finalement une des distinctions à faire entre le jeu et le jeu vidéo est bien là: grâce à la machine qui affiche et modifie son et image en temps réel, un jeu vidéo est un jeu avec lequel il nous est permis d'interagir avec sa représentation, de jouer, de devenir acteur, bref de représenter quelque chose par le biais d’un représentation déjà donnée. Pour en revenir aux échecs, si on décidait d’adapter ce jeu en jeu vidéo, on aurait, par exemple, la possibilité d’animer les personnages, ils pourraient produire des sons. Au lieu de déplacer une statue figée sur un échiquier, on pourrait jouer cette statue, elle s'animerait sous nos yeux. On parlera d’ailleurs ici de ce que le jeu vidéo offre en puissance. En effet, il existe de nombreuses adaptations des échecs sur ordinateurs, mais ceux ci se content souvent de plaquer ce jeu sur un écran, sans vraiment exploiter les possibilité liées à ces nouvelles technologies.

La vidéo offre au créateur du jeu vidéo de donner une représentation et une esthétique beaucoup plus poussée qu’il ne pourrait le faire avec un jeu classique et par conséquent proposer plus d’interactions possibles avec cette représentation donnée. L’image et l'esthétique quand elles existent dans un jeu classique sont très souvent imposées et ne dévient pas de leur esthétique donnée. C’est d’ailleurs également le cas d’une manière générale dans l’art quand il y a image, animée, figée ou décrite. Sauf qu’ici le concepteur de jeu vidéo propose au joueur de devenir acteur de cette image. Il lui donne un certain pouvoir sur son travail et sur son esthétique.

Il y a donc dans le jeu vidéo un potentiel à créer des riches imbrications de représentations, l’une donnée par l’artiste, l’autre donnée par le joueur. On voit ici qu’une relation particulière s’installe entre le joueur et l’artiste dans le jeu vidéo. En ce qui concerne uniquement la représentation esthétique, elle ne peut pas exister si le joueur refuse de devenir acteur de l’œuvre. Ce qui n’est pas le cas d’un jeu traditionnel comme les échecs où son esthétique est donnée, figée, quand finalement le créateur du jeu ne propose aucune interaction avec l’image qu’il donne.

D’ailleurs, il existe une multitude de jeux où même aucune image ne sera donnée et toute l'esthétique devra être jouée, représentée ou imaginée (s’il le souhaite) par le joueur lui-même (on pensera notamment aux jeux des enfants, qui jouent “à chat” par exemple). À ce propos, Huizinga parle dans Homo Ludens de la conscience du joueur qui joue. Le joueur, plus il devra représenter les choses, plus il devra se mentir à lui-même pour s’immerger dans son jeu. Dans le jeu vidéo, on donne au joueur une représentation. Il peut donc d’avantage s'immerger dans le jeu, qui avec son image animée, ses sons, donne une esthétique forte au jeu. L’un des effets principaux de la vidéo dans le jeu finalement, c’est d’apporter beaucoup d’immersion.

 

Un exemple pratique pour tenter de mettre en lumière tout ce qui a été expliqué plus haut : nous parlions avec un ami l’autre jour de la différence entre un jeu d’horreur et un film d’horreur. D’après lui, dans un film, pour le regarder il faut être prêt à subir ce qu’impose ce film, ce qu’impose le réalisateur. Dans un jeu, on peut mettre sur pause. On peut se préparer, faire tourner en rond le personnage, ramasser des barres de soin pour se préparer à un danger. On est acteur et on raconte notre propre histoire en fonction de nous au sein même d’un représentation et d’un fiction donnée. Et c’est ce tout qui fait œuvre, avec le joueur.

Personnellement, je trouve un jeu vidéo horrifique plus effrayant que le film précisément parce que cela ajoute un degré d'immersion et on finit par être terrifié de se faire peur par nos propres actions. Mais c’est très subjectif. En tout cas il faut retenir que le rapport à l’image dans le jeu vidéo est tout à fait singulier. Le cinéma propose de regarder, le jeu vidéo propose d’agir.

 

Ici je ne cherche pas à porter un jugement de valeur, à savoir si par exemple, le jeu vidéo d’horreur fait plus peur que le film d’horreur, si le jeu est plus ou moins riche que le jeu vidéo, car encore une fois il s’agit là de quelque chose de personnel, subjectif et qui en plus va dépendre de l'émotion recherchée et d’une œuvre en question.

Dans cette étude, je cherche à comprendre ce qui fait la singularité du jeu vidéo, de manière à pouvoir mieux le comprendre en tant qu’artiste.

 

En tout cas voilà le premier constat : le joueur, spectateur, dans le jeu vidéo est acteur d’une représentation donnée mais interactive. Et cette relation entre l'artiste et le spectateur est assez unique car dans les deux sens elle propose une action plutôt que de l’imposer. Comme dit plus haut, dans le cinéma par exemple, la seule action que je suis capable de faire c’est d’imposer mon regard sur une œuvre qui m’est imposée dans sa totalité par l’artiste.

La vidéo qui représente les données de jeux a finalement aidé celui-ci à s'inscrire plus que jamais dans le champ d’objets esthétique, d’objets d’art, ce qui crée donc une relation unique entre l’artiste et le joueur, qui donnent tous les deux une représentation de quelque chose. Le jeu vidéo est d’ailleurs très souvent comparé au cinéma car il s’est beaucoup construit en parallèle à celui ci. Les deux médias ont une histoire très semblable. Le cinéma, décrié à ses débuts et alors considéré comme une attraction de fête foraine, aura mis plus de 40 ans avant d’être pensé et reconnu en tant qu’art. On observe la même chose avec le jeu vidéo, qui était considéré comme un divertissement abrutissant destiné aux jeunes qui se retrouvaient dans des salles d’arcades. Aujourd’hui c’est quelque chose qui a tendance à changer.

Le jeu vidéo tout comme le cinéma nous mettent en rapport avec des images, des sons, mais pas de la même manière. Ayant une approche artistique, on comparera ici peut être plus le jeu vidéo avec le cinéma plutôt qu’avec le jeu traditionnel, pour en saisir son caractère exceptionnel. En comprenant ce qui différencie une simple vidéo d’un jeu vidéo, nous serons en mesure de saisir le rapport que nous avons avec les images d’un jeu.

 

 

Alors dans un jeu vidéo comment le joueur pourra il interagir avec des images et des sons, avec une vidéo ? Les interactions proposées au joueur passent très souvent par la médiation d’un corps virtuel contrôlé par un corps réel (celui du joueur).

Ce corps virtuel pourra interagir avec d’autres éléments représentés, tout se passe donc en temps réel et nécessite une machine et des contrôleurs (des manettes, des caméras, etc.) pour transmettre les informations que l’on souhaite envoyer afin de représenter quelque chose dans le jeu. Le représentation du corps virtuel du joueur va donc en partie dépendre de ces contrôleurs, mais aussi du point de vue de représentation du corps (vue du corps à la première personne, 3ème personne ou corps omniscient).

Quoi qu’il en soit, le corps du joueur, que ce soit ses doigts, ses mouvements, sa voix, ceux-ci sont toujours nécessaires à l'acquisition de données à transmettre au jeu vidéo, pour que celui-ci les retranscrive visuellement. Quand on joue à un jeu vidéo, on fait corps avec. Que sa représentation esthétique soit présente ou non de la vidéo d’ailleurs, dans le cas où le jeu adopte un point de vue omniscient par exemple. C’est très souvent le cas sur les jeux mobiles ou les jeux de stratégie. On a une vue d’ensemble sur le jeu, le rôle d’un avatar à ce moment-là n’est donc pas très pertinent. Mais même dans ces jeux vidéo, le corps du joueur est toujours impliqué pour représenter, jouer au jeu, faire corps avec. Et très souvent, le concepteur du jeu vidéo propose au joueur d’incarner un personnage, ou en tout cas, un corps virtuel, qui répondra dans une certaine mesure aux informations de contrôle que nous lui envoyons. Le corps du joueur et le corps de l’avatar virtuel sont donc souvent intriqués dans une certaine mesure.

Dans un jeu vidéo, le corps, que ce soit celui du spectateur, ou de la représentation d’un corps virtuel, y trouve une place fondamentale.

 

 

 

 

Dans cette discussion filmée entre Judith Butler et Sunaura Taylor, une femme handicapée, les deux s'interrogent sur des questions de corps. Judith Butler fait référence à Deleuze, qui explique que la bonne question à se poser quand on pense le corps ce n’est pas qu’est-ce qu’un corps, ou à quoi devrait ressembler un corps, mais qu’est-ce qu’un corps peut ? Qu’est-ce qu’un corps a comme capacités, de quelles actions est-il capable ? Finalement, ne pas penser le corps comme ayant une essence mais comme quelque chose qui peut se réinventer.

Dans mon esprit, cette approche du corps a tout de suite fait écho avec le corps dans les jeux vidéo qui donnent à réinventer sans cesse son corps. En effet, la quasi systématique première action du joueur sera de réapprendre ce que son nouveau corps peut. Il le fera, dans la plupart des cas, avec ses doigts. Alors, par exemple, son pouce droit deviendra ses bras, son pouce gauche deviendra ses jambes. Comme Sunaura Taylor qui doit inventer son corps avec sa chaise, où sa main, par l'intermédiaire d’une machine lui permet de se déplacer. Dans le jeu vidéo, par l'intermédiaire d’une manette, nous connectons notre corps réel à un corps virtuel, qui lui n’a aucune limite si ce n’est cette représentation et les mécaniques de jeu données par le concepteur de celui ci. Il faut essayer de comprendre le corps dans le jeu vidéo comme un médium connectant réel et virtuel. Au début d’un jeu, tout joueur devra se demander “qu’est ce que mon corps peut ?”, le jeu vidéo incite le joueur à s’inventer autrement et questionne donc les notions de corps.

 

Dans Philosophie des jeux vidéo, Mathieu Triclot explique que notre rapport d’empathie aux personnages dans un jeu vidéo est différent que celui d’un film car le rapport à l’image est différent. Que ce n’est pas parce que l’on incarne un personnage que l’on aura plus d'empathie pour lui. D’après lui, dans un jeu vidéo nous interagissons avec un monde de données de jeu, les personnages ou le personnage avec qui nous faisons corps, ne sont alors pour nous que des donnés qui vont nous permettre d'atteindre, ou non, un but. Il prend comme exemple les jeux à la première personne qui auront pour effet sur le joueur de créer la confusion entre son corps et celui du personnage qu’il incarne, précisément car le vecteur de contrôle (le corps virtuel) n’est alors plus représenté à l’écran. Ne reste alors plus que les actions sur les donnés de jeu. Aussi, très souvent et volontairement les concepteurs de jeu choisissent de vous faire incarner un personnage “coquille vide” muet et sans histoire afin que le joueur puisse s’incarner en lui. On ne parlera alors pas d’identification mais plutôt d’incarnation. Pour autant est-il impossible d’avoir de l’empathie pour un personnage que l’on incarne car on le considérerait alors simplement comme une donnée de jeu ?

 Je le détaillerai plus tard dans cette étude (cf. étude de cas en fin de partie sur le jeu “Inside”) mais je n’ai pas le même point de vue car je pense que la vidéo et les actions du joueurs viennent mettre des enjeux sur ces données et leur donner une force émotionnelle singulière qui dans certains cas rend possible l’empathie, compréhension des enjeux auxquels fait face le personnage et l’on incarne. Alors, en plus de l’incarnation, se produit l’identification. En tout cas c’est une possibilité qu’offre le jeu vidéo précisément avec sa vidéo, avec la façon qu’il aura de mettre les choses en scène. C’est jeu qui s’hybride avec le cinéma d’une certaine manière.

 

Dans un jeu vidéo peu importe notre genre, notre âge, on peut incarner un homme, une femme, un enfant, un bébé, un cheval, un serpent, etc… Il donne la possibilité au joueur de s’inventer un nouveau corps l’espace de quelques heures.

Ce qui est intéressant justement avec le jeu vidéo c’est que l’on incarne un personnage qui est à la fois autre, une représentation donnée par le créateur du jeu, mais c’est aussi nous, car c’est nous qui allons jouer ce personnage tout au long du jeu. On suppose alors qu’il peut s’installer une empathie sensorielle et psychologique au personnage que l’on incarne. On va s'approprier son corps, donc son histoire, ses buts et ce qui va lui arriver dans le jeu, se soumettre au mêmes règles que son univers. Un homme pourra dans ce cas jouer une femme, une femme un homme, un hétérosexuel pourra jouer un homosexuel, etc. Les jeux vidéo ont en puissance la possibilité de demander au joueur de représenter l’autre, ce qu’il n’est pas dans la vie réelle et de faire corps avec.

Certains jeux vont encore plus loin et proposent au joueur de s’inventer un corps avec un éditeur de personnage. On parle alors d’avatar. Dans ce cas on laisse au joueur la possibilité de se reproduire et dans ce cas d’expérimenter son corps, comme il ne l’aurait peut-être pas osé autrement. Il peut aussi expérimenter ce qu’il voudrait faire avec son corps dans la vie réelle, mais ne peut pas. J'insiste d’ailleurs sur ce “ne peut pas” car c’est la que se situe une singularité du jeu vidéo par rapport au jeu traditionnel. Il permet au joueur de représenter des choses qu’il ne pourrait pas représenter avec son corps réel, dans le monde réel. Par exemple, tout simplement, pouvoir effectuer un double saut. Et c’est ça qui est intéressant avec le jeu vidéo, parce qu’il a ça en puissance : nous offrir un corps qui peut autrement et ce sans aucune limite.

 

 

(Jak and Daxter / Naughty Dog / 2001)

 

 

Le corps qui nous est donné dans la plupart des jeux sera très souvent surpuissant, il pourra voler, escalader n’importe quel mur, etc. Avec une manette, on se retrouve donc dans le jeu vidéo assez souvent avec un médium de contrôle, de contrôle d’images, d'esthétiques, mais aussi de contrôle de l'esthétique d’un corps qu’on désire. On se détache un temps de notre corps donné biologiquement soumis à tout un tas de contraintes, pour choisir le corps que l’on souhaite, quoi de plus jouissif.

Le jeu vidéo ayant cette caractéristique dominante, le joueurs sont souvent en quête de puissance (et donc jouissance pour eux) lorsqu’ils jouent à un jeu vidéo. Mais ce n’est pas parce que quelque chose est jouissif ou qu’il est exclusif à un médium qu’il doit être systématique.

La représentation donnée par le concepteur de jeu vidéo d’un corps qui peut autrement est très souvent une représentation d’un corps surpuissant alors que l’un n’oblige pas l’autre. Un corps qui peut ne doit pas forcément s’imaginer comme un corps surpuissant. Le jeu vidéo, souvent destiné et marketé pour de jeunes hétéros blancs Américains, propose très souvent de contrôler un héros masculin très musclé, très fort, viril, qui a de nombreuses conquêtes, en tout cas qui plaît à des personnages féminins. (On parlera d’ailleurs dans ce cas de masculinité militarisée.) Les concepteurs de ces jeux font ce qu’on attend d’eux par rapport au médium qu’ils utilisent. En terme d’images, de représentation, ils proposent ce qui pour eux est logique quand ils s’agit de donner un corps qui peut, c’est à dire la représentation clichée de la puissance et réduisent ici sans réfléchir le corps à une donnée de jeu car il ne réfléchissent pas tellement au sens de la représentation qu’ils donnent. La faute probablement à une société qui considère le corps puissant (donnée de jeu) comme systématiquement étant un homme blanc hétéro (représentation donnée). Et c’est dommage car le corps retombe alors à ce moment dans des canons, dans une idéologie qui dit qu’un corps devrait ressembler à ça, être capable de ça, ce que dénoncent Sunaura Taylor et Judith Butler dans la vidéo ci dessus.

 

 

     Etude de cas - Un corps qui peut, puissant pour les hommes hétéros :

 

Pour prendre un exemple assez représentatif, je vous présente God of War, une série de jeux vidéo qui s’est vendue à des millions d’exemplaires dans le monde entier. Dans ce jeu d’action/aventure/combats, vous incarnez Kratos, un mortel qui veut devenir le dieu de la guerre va et interagir avec des personnages pris de la mythologie grecque tout au long de son aventure.

Kratos, commence comme un simple mortel lors de son introduction avec le joueur. Leur envie commune sera donc de gagner en puissance et de devenir un dieu, un personnage ultra puissant. Kratos dans sa représentation est tout ce à quoi on peut s’attendre dans ce cas : il est très musclé, grand. Il adopte une attitude très virile, il ne montre jamais ses émotions, n’affiche jamais un sourire, est sans pitié, etc.

Le jeu va encore plus loin pour faire plaisir au publique auquel il se destine: il propose au joueur des scènes érotiques, mettant en scène des femmes objets, attendant impatientes et prêtes à l’acte, l’arrivée de Kratos. Toutes les femmes dans ces jeux sont systématiquement des figures sexuelles.

 

 

 

 

Le jeu propose également une représentation clichée de la femme lesbienne fantasmée par un homme. Dans la scène de rencontre avec Aphrodite, celle-ci est en train d’avoir des rapports avec deux autres femmes. Mais aussitôt que Kratos arrive, c’est lui qui l’intéresse et jette alors du lit les deux autres femmes. Aphrodite dit à Kratos “Sais-tu depuis combien de temps un vrai homme n’est pas venu dans ma chambre ?” Cette scène résume assez bien l’esprit de God of War. Toutes les femmes sont prédisposées au sexe et attendent la venue d’un “vrai homme”, comme Kratos, seul représentation valable de la masculinité, qui surpasse tout désir possible d’un corps différent du sien, celui d’une autre femme par exemple, ce qui sous-entend que l’homosexualité féminine serait un mythe.

Ces scènes dans le jeu sont censées être des récompenses pour le joueur, après des sessions de jeu de combats exigeants. On voit bien ici que ces “récompenses” ne parleront qu’à un type de joueur. Et c'est bien souvent comme ça dans le jeux vidéo à gros budget.

Alors bien sûr, il y a une certaine dimension parodique dans God of War plus ou moins assumée, toujours est il que ce jeu véhicule et reproduit dans les représentations qu’il donne des clichés de genre.

 

Un autre exemple plus général qui s’applique à beaucoup de jeux : les armures. Souvent dans les jeux vidéo quand vous progressez vous êtes récompensés en obtenant de nouvelles armures, ce qui vous permet d'interagir avec la représentation donnée du personnage et d’y ajouter votre touche. En toute logique, une armure plus puissante est plus lourde, couvre plus le corps. C’est souvent le cas pour les hommes. Mais pour les femmes, c’est tout l’inverse. Très souvent dans un jeu vidéo, plus une armure féminine sera puissante, plus elle s’apparentera à de la lingerie. La récompense n’est alors plus la puissance quand il s’agit d’une femme, mais la sexualisation de son corps. Encore une fois, la récompense proposée ne s’adresse qu’à des hommes hétéros.

 

 

(SoulCalibur 4 / Namco / 2008)

 

Le problème qui se pose ici n’est pas tellement celui de la représentation, qui est, comme pour God of War, entre le parti pris esthétique populaire et la parodie. Le problème c’est que ce soit quelque chose de systématique, inconscient. Qu’une donnée de jeu (pouvoir du corps) soit toujours représentée de la même manière, par et pour les mêmes personnes, sans que ceux ci aient conscience des idées qu’ils peuvent véhiculer, sans qu’il n’y ait aucun discours. Car après tout, pourquoi en avoir un si “ce n’est qu’un jeu ?”

 

 

Un cas qui me semble également intéressant ici est Tomb Raider. Dans ce jeu culte sorti en 1996, vous incarnez Lara Croft, une archéologue très forte dont le corps est sexualisé à l’extrême. Pourtant, ce jeu dans la façon dont il a été fait est très intéressant et marque un tournant dans l’histoire du jeu vidéo.

 

 

 

 

A la base, le personnage principal de Tomb Raider était un homme. Les développeurs, avant la sortie, réalisent que le jeu ressemble trop à Indiana Jones. Ayant peur d’être accusés de plagiat, ils décident de remplacer cet homme par une femme. La façon de représenter cette femme est bien entendu, toujours sous le même paradigme, conçu comme une récompense pour un homme hétéro. Mais tout le reste est intact. Lara est une femme très masculine dans ses actions, ses rapports sociaux, etc. C’est une des premières femmes forte, indépendante des hommes, qu’on peut incarner dans un jeu vidéo. Celle-ci n’aura aucune romance, ne devra pas se faire sauver par une homme (schéma que l’on retrouve dans beaucoup de jeux). Les autres personnages masculins dans le jeu s’adressent à Lara comme si c’était un homme. Mis à part dans sa représentation graphique, Lara n’est jamais sexualisée. Malgré eux, les créateurs de Tomb Raider nous livrent une figure féminine singulière pour son époque dans le jeu vidéo. C’est aussi un des premiers jeu vidéo, dont l’unique personnage principal est une femme et qui est un succès commercial.

 

     -Un corps qui peut autrement :

 

Dans tous les cas, sur ces deux exemples, ces personnages se retrouvent dans des situations extrêmes (devenir dieu de la guerre dans God of War, piller des tombes dans Tomb Raider) avec un corps très puissant. Certes, on retrouve souvent ce schéma dans le jeu vidéo car il est jouissif pour le publique auquel il s’adresse. Mais ce n’est pas toujours le cas. Un contre-exemple assez représentatif, qui va cette fois concerner presque tous les jeux d’un genre, le jeu vidéo horrifique. Dans ces jeux, on cherche à se faire peur, avoir un corps surpuissant n’est donc pas pertinent. Bien au contraire, dans le jeux d’horreur on fait souvent corps avec un personnage difficile à contrôler, qui a peu de visibilité sur le monde qui l’entoure et qui est alors démuni face à un éventuel danger.

Dans Inside, un jeu de plateforme (jeu de sauts) horrifique, vous incarnez un petit garçon qui cherche à fuir ce qui s'apparente clairement à du fascisme. Vous êtes alors dans ce jeu dans une fuite perpétuelle. Vous faites corps avec ce garçon apeuré, essoufflé, qui trébuche, ou va courir plus vite face à un danger. En faisant corps avec lui se crée alors une grande empathie, car sa survie dépend aussi de vous. Votre volonté de fuir le fascisme devient commune. En le contrôlant, vous racontez et représentez visuellement son histoire qui devient votre histoire.

Pour revenir sur l’identification et l'empathie, dans Philosophie des jeu vidéo Mathieu Triclot explique que bien souvent le jeu vidéo s’hybride avec le cinéma par le biais de cinématiques (séquences non jouables qui viennent ponctuer le jeu vidéo) afin de créer de l'empathie avec les personnages qui ne sont alors plus des données mais des objets de fiction et seulement de fiction, que l’on regarde (c’est un film). A mon sens, Inside (qui est sorti en 2016, donc après Philosophie des jeux vidéo en 2011) est révolutionnaire en ce sens que le jeu ne dispose d’aucune cinématique, d’aucune coupure dans le jeu. C’est un jeu du début à la fin. Pourtant, j’ai rarement ressenti tant d'émotions et d'empathie pour un personnage de fiction, tant le jeu est malin dans la façon qu’il a de représenter et donner à représenter les choses. En réalité dans Inside, les contrôles du personnage vous dépassent parfois, sans que vous y perdiez totalement le contrôle. Quand des chiens approchent par exemple, le petit garçon, apeuré, se met à courir plus vite. Mais si vous arrêtez de courir, le personnage s’arrête bien. Il n’y a donc aucune coupure, mais le jeu réussit tout de même à vous transmettre à une émotion forte de votre personnage (ici la peur), qui vous l’indique en changeant la façon qu’il a d’utiliser son corps (courir plus vite). Se crée de l’empathie, de l’émotion. Votre but, finir le jeu, gagner, se fond alors dans le but de votre personnage, fuir le fascisme, celui qui dans les règles du jeu va tenter de vous empêcher d'atteindre votre but en tant que joueur, gagner. Le fascisme devient alors votre ennemi. Dans Inside, tout fonctionne ensemble, aucun élément de jeu donné sans que celui ci fasse sens par rapport à ce qu’est l’horreur du fascisme. En résulte un jeu absolument bouleversant, tant il vous immerge dans cet univers de sens et d’émotions.

 

 

 

 

Pour prendre l’exemple d’un travail personnel, je vous présente ici mon projet Dead Moves Above et comment en tant qu’artiste j’essaye de penser le corps que je donne au joueur pour qu’il puisse représenter quelque chose qu’il ne pourrait représenter autrement qu’en jouant à un jeu vidéo et comment cette représentation qu’il donne va, je l’espère, lui dire des choses.

Un de mes sujets de prédilection dans mes travaux est le deuil. Étant athée, c’est pour moi quelque chose qui me semble assez dur à appréhender, qui par conséquent me touche beaucoup quand il est traité dans l’art.

Dans Dead Moves Above, un jeu vidéo que j’ai commencé à développer dans le cadre de mon Erasmus à Copenhague en 4ème année, vous incarnez un personnage qui meurt sous vos yeux au tout début du jeu, du fait de vos contrôles (vous trébuchez et tombez de trop haut). Cependant, vous continuez à faire bouger le corps du personnage, vous pouvez contrôler son cadavre. La question d’un corps qui peut autrement s’éclaire ici. Vous êtes morts, donc tout un tas de choses vous seront alors impossibles, d’autres en revanche, deviennent possibles. Tomber d’un pont haut de 10 mètres ne sera pas un problème mais par contre vous ne pouvez pas grimper l'échelle que j’ai placée volontairement au début du jeu, comme indice de ce constat. Dans ce jeu, je veux inciter le joueur à penser les capacités de son corps autrement, de se réinventer autrement avec un corps donné, cette fois ci, un corps mort, un corps mou. Ainsi en faisant interagir le joueur avec une représentation d’un corps mort, il y a quelque chose qui se raconte, le déni de la mort, l’impossibilité de faire le deuil. Et ce sens est impossible sans la représentation visuelle que je donne (celle d’un corps mort), les mécaniques de jeu et la représentation que va donner le joueur (faire bouger, incarner ce corps pourtant mort).

 

 

 

 

Dans ces jeux vous êtes un corps qui peut autrement finalement, un corps en fuite, un corps mort. Nous n’avons donc pas forcément affaire systématiquement à un corps surpuissant dans le jeu vidéo. Le jeu vidéo c’est se mettre dans la représentation d’un corps qui peut autrement, autrement que dans votre quotidien, autrement que votre corps réel.

 

 

 

 

 

 

     2- Règles et buts, les mécaniques du jeu pour quels enjeux?

 

 

Jusqu'à maintenant, nous nous sommes surtout penchés sur ce que la vidéo offre en terme de représentation dans le jeu vidéo. Dans cette partie nous allons plus nous pencher sur son aspect de jeu, pour le relier à nouveau à la vidéo et mieux en comprendre l’ensemble. Pour rappel, Huizinga dit ça du jeu :

 

“(Il faut)...définir le jeu comme une action libre, sentie comme « fictive » et située en dehors de la vie courante, capable néanmoins d'absorber totalement le joueur; une action dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité; qui s'accomplit en un temps et dans un espace expressément circonscrits, se déroule avec ordre selon des règles données, et suscite dans la vie des relations de groupes s'entourant volontiers de mystère ou accentuant par le déguisement leur étrangeté vis-à-vis du monde habituel.

La fonction du jeu, sous les formes supérieures envisagées ici, peut, pour la plus grande part, se ramener immédiatement à deux aspects essentiels. Le jeu est une lutte pour quelque chose, ou une représentation de quelque chose. Ces deux fonctions peuvent également se confondre, en ce sens que le jeu « représente » un combat pour quelque chose, ou bien est un concours, qui peut le mieux rendre quelque chose.”

On retiendra dans cette partie que le jeu se déroule en un temps et un espace réduit, avec ordre selon des règles données, dans le but de quelque chose ( un “combat” pour quelque chose). En dehors de la représentation ce sont ces choses qui vont caractériser un jeu.

Quand nous jouons à un jeu, nous recréons un petit univers fictionnel et temporaire, qui s’écarte du nôtre, qui n’a pas les mêmes règles, où n’avons pas les mêmes buts. Il y a donc des enjeux pour le joueur qui vont le concerner directement étant donné qu’il va devoir se soumettre aux règles du jeu, afin d’atteindre un but qu’il va s’approprier. L’enjeu est alors d'atteindre ou non ce but, de “gagner” le jeu.

Alors, quelle est la nature de ces enjeux ? En quoi sont-ils radicalement différents des enjeux de la vie réelle ? Pour saisir cette nuance nous allons tenter de comprendre les mécanismes de plaisir du joueur en fonction de ces règles et buts donnés, pour faire simple, en fonction de sa liberté. Comment finalement le joueur aura une approche très différente à la liberté dans un jeu vidéo par rapport à la vie réelle, précisément parce que la nature des enjeux est différente. Une fois de plus à la suite de cette étude nous serons en mesure de mieux comprendre la nature du jeu vidéo, ses caractéristiques exceptionnelles et ainsi mieux réussir à comprendre ce qu’un jeu vidéo peut dire.

 

Dans une étude psychologique sur le jeu vidéo, A motivational Model of Video Game Engagement les auteurs expliquent que les humains cherchent à satisfaire 3 besoins essentiels quand ils jouent à un jeu vidéo: acquérir des compétences, le contact d’un “autre” (concerne les jeux en groupe, multi-joueurs) et de l’indépendance. En d’autres termes, la liberté par rapport à des contrôles extérieurs, influences. L’indépendance est donc un prérequis à la liberté en général. Comprendre le rapport qu’a le joueur de jeu vidéo avec la liberté nous aidera à comprendre les enjeux d’un jeu vidéo. Ces enjeux vont plus ou moins déterminer notre liberté, mais d’une manière différente si c’est un jeu ou pas.

 

Dans le chapitre 41 de Debugging Game History: A Critical Lexicon, Jesper Juul, un des principaux théoriciens de ce qu’on appelle les “Game Studies” explique qu’on peut catégoriser les façons de jouer à un jeu vidéo en 4 groupes, qui sont très liés à la liberté: jouer en se soumettant, jouer sous une liberté contrainte, jouer de façon subversive ou jouer de façon créative.

 

Ces deux premières catégories de façon de jouer, de façon soumise ou dans une liberté contrainte, s’opposent. Un jeu où l’on a à jouer en se soumettant sera punitif et ne laissera que peu de choix au joueur. Il sera limité à des règles du jeu strictes et à un but très précis. Par exemple, dans Super Mario Bros, le joueur est souvent forcé de jouer en se soumettant. Vous n’avez dans ce jeu qu’un seul but, à savoir atteindre le drapeau à la fin de chaque niveaux, pour sauver la princesse Peach. Pour y arriver, vous devez faire face à tout un tas d’obstacles. Si vous ne les évitez pas, vous devez dans ce cas refaire le niveau : le jeu est punitif. En d’autres termes, si vous voulez avancer dans Mario vous devez vous soumettre strictement à ses règles, acquérir les compétences nécessaires pour atteindre votre unique but. Il satisfait donc le besoin humain d'acquérir des compétences.

A l’opposé, dans un jeu où vous jouez sous une liberté contrainte, vous aurez beaucoup plus de choix, d’options, même si le jeu se contraint à un nombre limité de choix, d’options (c’est pour ça qu’on parle alors de liberté “contrainte”). Le type de jeu qui se prête bien à cette façon de jouer à un jeu sont les jeux de rôles ou RPGs (role playing game en anglais), comme Donjons et Dragons, où finalement beaucoup de buts vous seront proposés et vous aurez beaucoup de choix, d’interactions différentes possibles et non imposées pour atteindre les buts de votre choix.

Pour résumer, quand vous jouez à un jeu où il faut se soumettre aux règles on vous laisse peu de choix quant à vos interactions, vos buts, alors que dans un jeu à la liberté contrainte, on vous laisse la possibilité de choisir telle ou telle interactions, pour tel ou tel but. Tout est une question de choix.

 

Si j’explique tout ça, c’est parce que je trouve qu’il est intéressant de comparer ces deux façons de jouer à un comportement humain face à la liberté quand il est soumis à des enjeux réels.

Dans son livre Le Suicide, Durkheim veut comprendre pourquoi il arrive que des gens se suicident. Son but ne sera pas de faire l’analyse de motifs de suicide individuels, mais de faire une analyse du suicide de façon globale, sur des données statistiques, afin de faire une étude sociologique. Il découvre alors qu’en fonction du pays, le nombre de suicide est très stable. Il conclut qu’il y a donc forcément une raison sociologique au suicide. Les raisons qu’il trouve en poursuivant son étude en relevant des donnés sont :

 

 

 

 

La partie qui va nous intéresser ici pour notre étude est celle où les suicides sont liés à la régulation de la liberté. D’après l’étude de Durkheim, quelqu’un qui sera soumis à beaucoup de contrôles extérieurs, avec peu de choix, d’autonomie dans sa vie sera plus susceptible de se suicider. A l’opposé, quelqu’un qui aura beaucoup d’autonomie et absolument aucune source de contrôle extérieur, aucun standard, référent ou loi dans une société, est aussi susceptible de se suicider.

 

Alors bien sûr, il est peu probable que vous vous suicidez à cause d’un jeu, mais vous risquez d’arrêter d’y jouer s’il est trop dur, ou si vous n’y trouviez aucun repère, aucun standard. Au regard de l'analyse de Durkheim, nous pouvons être sûr comment. Souvent les jeux qui soumettent sont faits pour que le joueur acquière des compétences, apprenne par cœur des schémas. Mais si cela est trop dur, trop punitif, même ce plaisir d'acquérir des compétences disparaît. Ayant trop peu de marche de manœuvre sur un jeu, le joueur arrivera, après l’énervement, à un état fataliste “je n’y arriverai jamais” ce qui s'ensuit souvent par l’arrêt du jeu. A l’opposé, un jeu qui vous lâche dans un univers immense, sans vous donner le moindre repère, le moindre but, le moindre choix, aura tendance à procurer chez le joueur un sentiment d’anomie.

Finalement, quand le joueur arrête le jeu, quand il éteint la console par résignation, parce qu'il est bloqué, ou parce qu'il est perdu, il se suicide dans le jeu. Mais ce suicide n’est pas irréversible et n’aura aucun impact sur sa vie réelle, où la mort est alors irréversible.

Nous pouvons remarquer ici que les enjeux d’un jeu provoquent des réactions beaucoup moins lourdes que dans la vie réelle. Arrêter de jouer à un jeu car il ne nous procure pas assez de plaisir, ou même des sensations désagréables, n’est pas un mal. Ce que nous montre cette comparaison entre le jeu et l'analyse de Durkheim, c’est que le jeu a justement cette possibilité de nous proposer de faire l’expérience de situations extrêmes, pas forcément agréables, mais où les enjeux sur notre vie personnelle sont aussi légers qu'éphémères. Car comme l’explique Huizinga, le jeu est un espace délimité hors du temps et fictionnel. Les enjeux au sein de cette fiction auront beau être extrêmes, ils ne le seront qu’au sein de cette fiction et ne nous affecteront qu’au sein de cette fiction, légère, éphémère. Il faut ajouter à cela que dans un jeu, rien n’est définitif. Plus le joueur peut sauvegarder dans un jeu, moins les enjeux sont lourds. Finalement les enjeux seront des donnés, des stats, qui vont nous permettre de gagner. Là où il pourrait y avoir des enjeux, à savoir la punition, la perte de ces données acquises par le joueur, celui ci peut, dans beaucoup de jeux, sauvegarder. Je constate que moi même, après une sauvegarde dans un jeu vidéo, je m’amuse souvent à tester le jeu, voir ce qui se passe par exemple, si je fais sauter mon personnage dans le vide. Et je le fais en m’amusant précisément car la mort de mon personnage à ce moment là m’importe peu. Je suis dans un état d’esprit de test et le jeu ne peut plus me punir par ses règles puisque je viens de sauvegarder. Si je meurs, si je perds mes “stats” il me suffit de charger mon ancienne partie, de revenir à un état du passé.

Il est intéressant d’ailleurs de noter ici que le jeu vidéo est bien le seul médium à proposer ça, avec peut être le livre dont vous êtes le héros : proposer au joueur/spectateur de changer le cours des choses dans une narration. De rendre finalement cette narration parfaite aux yeux du joueur. C’est une possibilité qu’offre le jeu vidéo en tout cas. (libre aux concepteurs de jeux de laisser la liberté aux joueurs de le faire).

 

Voilà donc, une première caractéristique des enjeux propres au jeu : ils nous concernent personnellement car il nous incombe d'atteindre ou non notre but, de gagner ou non, mais ils sont éphémères et parfois, souvent, en fonction du jeu, très légers. Ces buts, ces règles données nous concernent personnellement certes, car il nous importe de gagner, mais plus ou moins légèrement en fonction de la liberté que laisse les règles du jeu et surtout, temporairement, car nous nous plaçons dans un fiction dont les enjeux n’affectent en rien ceux du monde réel, où les choses sont souvent irréversibles.

 

Après “jouer en se soumettant” et “jouer sous une liberté contrainte”, le joueur a la possibilité de jouer de deux autres façons qui se rejoignent en un sens : “jouer de façon subversive” et “jouer de façon créative”. Concrètement dans ces formes de jeu, le joueur devra lui-même créer son but avec des règles données. Dans “jouer de façon subversive” son but sera de casser ces règles, choix qu’il aura donc fait de lui-même, sans que le jeu ne le lui demande.

Un jeu vidéo intéressant par rapport à ça est The Stanley Parable, car le joueur est incité à jouer de façon créative comme subversive. Dans ce jeu, où un narrateur qu’on comprend être le créateur du jeu, dit tout ce que le joueur est censé faire avant qu’il ne le fasse. Le joueur prendra alors un malin plaisir à faire l’inverse de ce que dit le narrateur et ainsi créera sa propre histoire en fonction de ses choix. Il en résulte alors un sentiment de subversion très jouissif pour le joueur, qui se donne comme but de désobéir à ce qu’il pense être le concepteur du jeu. Alors qu’en réalité le vrai concepteur du jeu pousse le joueur à désobéir dans la configuration qu’il donne.

 

 

 

 

Pour comprendre un peu mieux les mécanismes liés à l’autorité dans un jeu (autorité qui donne beaucoup d’enjeux dans la vie réelle), j’aimerais le comparer avec l’expérience de Milgram et pourquoi à mon avis il est compliqué de recréer cette expérience dans un jeu vidéo.

Donc dans l’expérience de Milgram, on demande aux sujets de faire quelque chose qui entre en conflit avec leurs valeurs morales et/ou éthiques, à savoir envoyer des chocs électriques à quelqu’un. Il est montré qu’en présence d’une autorité ou de tout contrôle social extérieur, les sujets, même confrontés à un dilemme moral et éthique, préfèreront obéir à un ordre. Toutes les déclinaisons de cette expérience arrivent à ce constat : les humains ont tendance à perdre leur liberté d’action et de choix quand ils sont confrontés à une figure sociale concrète et autoritaire.

Qu’en est-il dans un jeu ? Nous sommes éduqués de façon à obéir à une autorité sociale pour que cette société fonctionne. Mais comme un automatisme nous avons alors du mal à dire non quand une situation nous paraît injuste; nous faisons alors l’expérience de notre manque de liberté. Dans un jeu c’est tout l’inverse, on se précipitera sur la moindre faille, sur la moindre possibilité de désobéir. Comme je le disais plus haut, le jeu nous offre la possibilité de faire des choses que nous ne ferions pas dans la vie réelle; ici, désobéir. Et nous le faisons car nous savons qu’il n’y a aucun enjeux concrets derrière cette désobéissance, à part peut-être, se faire punir par le jeu quand celui-ci est autoritaire. Et comme nous l’avons vu plus haut, s’il est trop autoritaire, alors on peut l’arrêter, on peut commettre cet acte Sartrien de se “suicider” virtuellement, on a donc toujours le choix dans un jeu, le choix d’arrêter. De même dans les jeux aux règles trop strictes la mort du personnage est fréquente. Mais c’est toujours la même chose, la mort n’est pas définitive. Quelle que soit la punition que nous donne le jeu quand on perd, l’enjeu est temporaire, fictif et nous importera seulement dans l’immédiat. Le joueur se trouve dans un état paradoxal, c’est à dire qu’il doit à la fois s’immerger volontairement afin de se divertir avec des enjeux et buts fictifs, mais dans le même temps il a tout à fait conscience que ce jeu est une fiction, un espace temporaire qui n’aura aucun impact sur quoi que ce soit de réel. Le rapport que l’on a à l’autorité dans un jeu dépendra alors uniquement de son but. Ça sera le seul enjeux pour le joueur: gagner. L’autorité devient alors une donnée de jeu intangible et déconnectée du réel. En un mot, l’autorité d’un jeu est en fait une mécanique de jeu, elle est utilitaire. Libre au joueur de choisir son but (casser le jeu ou, sauvegarder et faire n’importe quoi, par exemple) sans que cela n’ait aucun impact personnel réel.

 

Cependant il faut noter quelque chose d’important ici : la morale et l’éthique n’entrent pas tout de suite en compte. Si comme dans The Stanley Parable par exemple, désobéir signifie tuer un bébé, il est probable que le joueur désobéisse, car ce bébé n’existe pas vraiment et le joueur en a tout à fait conscience. Il nous apparaît alors ici de nouvelles caractéristiques concernant les enjeux d’un jeu : nos conceptions éthiques, morales et notre rapport à l’autorité sont comme remis à plat. Si elles n’interfèrent pas avec notre but alors elles n’ont pas d’importance.

On pourrait alors se poser la question de savoir comment recréer dans un jeu des notions d’empathie, d’éthique, même pour des figures fictionnelles et virtuelles ?

 

 

---Etude de cas - Ico, Fumito Ueda et la conscience de la portée émotionnelle et narrative d’enjeux de mécaniques de jeu.

 

Dans cette étude de cas je vais vous parler d’un jeu qui m’a beaucoup marqué dans ma vie et de son créateur, Fumito Ueda, qui m’a donné envie de faire une école d’art. Ce concepteur de jeu a une approche singulière du jeu vidéo pour son époque (son premier jeu, Ico, sort en 2001) où le jeu vidéo est encore considéré assez largement comme un divertissement abrutissant et violent, en tout cas certainement pas comme une forme d’art. Fumito Ueda voit dans le jeu vidéo un moyen d’expression formidable et décide de l’utiliser quand il sort des beaux-arts d’Osaka. Cette approche et intention artistique se ressent très fortement dans ses jeux, très rapidement acclamés par la critique qui disait “nous avons la preuve que le jeu vidéo peut être un art”. Non seulement Fumito Ueda a univers graphique propre qu’il a développé avec la pratique de la peinture à l’huile, mais il sait aussi ce qu’est un jeu. Il a conscience de ce que son médium (le jeu vidéo) peut dire, il le pense comme un tout et a une intention artistique sur ses jeux vidéo dans leur ensemble.

 

Dans Ico, son premier jeu, vous incarnez un petit garçon, Ico, qui est donné en offrande à une sorcière car il est différent: Ico est un enfant à cornes. Il se retrouve alors prisonnier du château de la sorcière. Il réussit à s’échapper de sa cellule et fait la rencontre de Yorda qui nous l'apprendront plus tard, est la fille de la sorcière, elle aussi prisonnière de sa mère. Le jeu commence là, une relation unique s'installe alors entre Ico et Yorda. Le joueur, Ico, ayant besoin de Yorda s'échapper du château, Yorda ayant également besoin d’Ico pour réussir à s’échapper. Tout le système de jeu se base sur cette relation. La touche que vous utiliserez le plus souvent dans Ico servira à appeler “Yorda”, et quand celle-ci est assez proche, à lui donner la main. Vous sentez à travers les vibrations de la manette son cœur battre. Pendant 6 heures de jeu vous allez donc évoluer ensemble dans ce château où des ombres tentent de récupérer Yorda pour la rendre à sa mère. Si cela arrive, vous perdez le jeu. Si vous voulez avancer dans le jeu vous devez donc sans cesse prendre soin de Yorda tandis qu’elle vous aidera à ouvrir des portes. Tout est fait finalement pour que vous vous attachiez au personnage, ayez peur qu’il lui arrive quelque chose, non seulement dans la mise en scène, la vidéo, mais aussi dans la façon dont est fait le jeu, dans ses règles et ses buts qu’il donne. Arrive alors un moment clé du jeu, où Ico et Yorda arrivent enfin devant la porte de sortie du château:

 

 

 

 

Si vous êtes attentifs vous remarquerez que le joueur reprend le contrôle d’Ico l’espace de 3 secondes. Et très naturellement, les joueurs ne vont pas vers la sortie, mais vers Yorda. Ce moment du jeu est finalement la preuve que les enjeux ne sont plus de gagner ou de perdre, mais bien concrets, ils ont du sens : le joueur veut le bien de Yorda car il s’est attaché à ce personnage, il a évolué à ses côté et a noué des liens particuliers avec elle pendant 6 heures.

En terme de mécaniques de jeu, la mort de Yorda représente la fin du jeu. J’insiste ici sur le terme “représente”. Une mécanique de jeu qui représente quelque chose, dans le sens de représente un enjeu, mais aussi, représente visuellement et émotionnellement cet enjeu. La mort de Yorda dans cette scène est un choc émotionnel immense, dans l'esthétique et la mise en scène soignée du jeu, mais aussi dans ce qu’elle représente en terme de mécanique de jeu.

Ce sont les images, le son, la mise en scène, le scénario, qui changent le sens de nos interactions, de nos choix : la vidéo vient modifier, enrichir les enjeux de simples mécaniques de jeu. La vidéo offre la possibilité dans le jeu de placer beaucoup d’enjeux émotionnels, de donner beaucoup de sens aux règles et buts que nous sont donnés et à nos choix, nos interactions. Et contrairement à une simple vidéo, nous faisons ici partie intégrante de la représentation et comme nous l’avons vu, nous faisons corps avec ce qui va nous impliquer personnellement dans cette fiction. Et contrairement à un simple jeu, la vidéo apporte du sens à la représentation et aux interactions que nous donnons. Ce que je veux expliquer ici, c’est qu’il ne faut pas penser le jeu vidéo avec d’un côté le jeu, de l’autre la vidéo, mais bien comme un tout où jeu, joueur et vidéo fonctionnent ensemble. Ico en est un très bon exemple.

 

 

 

Pour aller plus loin --- Les effets du jeu vidéo sur le psychisme.

 

Le jeu a une portée émotionnelle et sentimentale si forte qu’il a rapidement été repris et utilisé lors de thérapies pour aider les enfants en manque d’interaction. Voici une expérience menée par le psychothérapeute Michael Stora où les enfants avaient des problèmes de mères dépressives :

 

“Chaque enfant avait quinze minutes pour jouer. L’enfant suivant prenait le jeu là où le précédent était parvenu. Lorsque Rachid devait laisser sa place, il exprimait alors, dans sa manière de se comporter, sa panique à l’idée que quelque chose puisse arriver à Yorda. Lors d’une séance, ce fut au tour de Rachid de jouer alors que Yorda et Ico venaient tout juste d’être séparés par la reine mère. Yorda avait tenté d’aider Ico à ne pas tomber dans le vide, mais l’ombre de la reine avait envahi Yorda qui, du coup, avait lâché Ico. Fondu au noir, Ico se retrouva seul sur une plate-forme. Les enfants posèrent aux thérapeutes un flot de questions qui traduisaient leur intense inquiétude : si Yorda était envahie par l’ombre de sa mère, elle allait sûrement devenir « méchante » ? Pour le savoir, il fallait continuer à jouer, l’enjeu n’étant pas de sauver Yorda, mais de sauver sa peau, à travers Ico. Or Rachid, comme désespéré, faisait systématiquement sauter son avatar dans le vide. Suicide virtuel : le jeu semblait ne plus avoir d’intérêt pour lui. Pour la première fois, les autres enfants l’encouragèrent à réussir coûte que coûte. Rachid réussit alors à avancer dans la mission finale, sans pour autant savoir qu’il allait bientôt retrouver Yorda. Le plus intéressant, c’est qu’il fut presque déçu lors des retrouvailles, car il avait eu du plaisir à réussir dans le jeu pour lui-même et non pour sauver Yorda.

 

Investi par le groupe des enfants et des thérapeutes, Rachid a donc pu adopter une conduite nouvelle. Un enjeu narcissique massif a créé un décentrage de son objectif premier : sauver Yorda. Son corps, auparavant totalement mobilisé du côté de la sauvegarde de Yorda, par la crispation musculaire du doigt sur la touche R1 (touche pour appeler et prendre la main de Yorda), s’était centré sur une habileté oculomotrice libératrice. Le regard victorieux, Rachid avait gagné en liberté. Un mois plus tard, la psychologue de l’Aide sociale à l’enfance m’apprit que, pour la première fois, Rachid avait pu dire à sa mère toxicomane qui l’appelait au téléphone, le plus souvent pour se plaindre : « Écoute, maman, tu me déranges, je suis en train de manger, rappelle-moi quand tu iras mieux ! »

 

source

 

(Si le sujet vous intéresse, Stora sur la portée émotionnelle et psychologique sur jeu vidéo ici )

 

 

 

 

 

     3- Véhiculation d’idéaux dans le jeu vidéo, formalisme et place du jeu vidéo aujourd’hui dans l’art.

 

 

Le jeu vidéo occupe depuis un certain temps la place de première industrie culturelle en terme de chiffre d’affaire:

 

 

Source : AFJV et eCap Partner

 

 

1.8 milliards de personnes jouent aux jeux vidéo en 2016. Ce médium a pris depuis sa création il y a environ 40 ans une place énorme dans nos vies. De plus en plus d’artistes s’y intéressent. Et pour cause les avancées techniques leur permettant de plus en plus liberté et de amoindrit les coûts pour réaliser un jeu. Alors comment penser ce médium aujourd’hui dans une école d’art et en tant qu’artiste ? Maintenant que nous sommes en mesure de comprendre comment un jeu vidéo fonctionne, quelles sont spécificités et comment il fait sens, nous pouvons nous demander ce qu’en font les artistes, les designers et les penseurs aujourd’hui dans un monde où il prend de plus en plus d’importance.

 

Du côté des chercheurs, penseurs et designers, on observe plusieurs approches possible dans le monde encore neuf de l’étude des jeux vidéos. On prendra ici de l’anglais les termes “Game” et “Play” qui ont cette faculté de séparer le jeu de son action de jeu, ce que ne permet pas le Français. Cette distinction est importante car elle distingue justement deux approches du jeu vidéo. Certains chercheurs font analyser le jeu en fonction des actions du joueur et pensent l’objet jeu dans la représentation que donne le joueur, des “play studies” donc. De l’autre côté nous avons ceux qui vont penser l’objet jeu du côté de ses mécaniques, afin de faire exister le jeu dans son design en soi, sans prendre en compte le “play”. On parlera donc de “game studies”.

 

Souvent ces game studies défendent que la vidéo d’un jeu vidéo doit servir le jeu et uniquement le jeu (et ne fait pas sens) afin que celle-ci serve à ce qui est considéré très souvent par ces mêmes ludologues et designers comme la finalité d’un jeu: être fun.

Pour prendre un exemple bien connu et très représentatif de cette approche du jeu vidéo, dans Super Mario Bros, l’ensemble de la représentation donnée a été pensée comme utilitaire au jeu. L’image et les sons en sont réduits à leurs fonctions pratiques. Si les ennemis du jeu, les goombas, principaux ennemis et obstacles du jeu, sont foncés et ont une forme de champignon, c’est pour faire comprendre que ce sont des personnages négatifs (foncés) et leur forme va donner un indice au joueur sur la façon de les éliminer, à savoir sauter dessus. Nous sommes donc bien là dans une approche de l'esthétique du jeu vidéo réduite à une fonction purement utilitaire.

 

C’est aussi un point de vue défendu par Raph Koster, concepteur de jeu, dans son livre “A theory of Fun for Game Design”, qui cherche à minimiser les critiques que la société peut faire à l’égard des jeux violents dans la représentation qu’ils donnent comme espace de jeu vidéo :

 

“Rouler sur des piétons, tuer des gens, se battre contre des terroristes, ou manger des sphères en échappant à des fantômes ne sont que des réglages de niveaux, des métaphores pratiques pour ce qu’un jeu apprend en réalité. Deathrace ne vous apprend pas à rouler sur des piétons, pas plus que Pac-Man ne vous apprend à manger des sphères et d’avoir peur de fantômes.

Rien de tout cela ne permet de minimiser le fait que Deathrace implique de rouler sur des piétons et de les jeter dans de petites icônes de pierres tombales. C’est là, c’est clair, et c’est un peu condamnable. Ce n’est pas un super réglage ou une super mise en scène pour un jeu, mais ce n’est pas non plus de ça dont il est question dans ce jeu”

 source, extrait du livre

 

D’autres ont un regard inverse, où la vidéo et le jeu ne sont pas pensés comme un tout et où finalement seule la qualité esthétique formelle du jeu prime sur les interactions qu’elle propose. C’est très souvent le cas des adaptations de films en jeu. Souvent le film est refait de moins bonne facture visuellement et est entrecoupé de phases de jeu qui sont vaguement liées au scénar.

Le problème à mon sens de ces deux approches c’est qu’elles ne comprennent pas qu’un jeu qui s’accompagne d’une vidéo font sens. Parfois certains jeux vidéo véhiculent certaines idées de façon diffuse sans que les joueurs ou même leurs créateurs ne s’en aperçoivent. L’approche de Raph Koster est finalement assez formaliste et ne s'intéresse qu’à ce qu’est censé faire une jeu, être fun. Et en pensant le médium qu’il utilise de cette manière il tolère certaines idées que peuvent véhiculer certains jeux.

 

Pour prendre un exemple concret, je vais vous parler de Heavy Rain. Dans ce jeu vous incarnez successivement 4 personnages différents, ceux qui vont nous intéresser ici sont Ethan, un homme et Madison, une femme. Le jeu propose cette scène au joueur :

 

 

 

 

Cette scène m’intéresse ici car force est de constater à quel point une petite décision de mécanique de jeu donne beaucoup de sens. En effet dans cette scène, alors que dans tout le jeu on peut contrôler Madison comme Ethan, le personnage d’Ethan est celui qui est choisi par les développeurs du jeu comme étant le personnage actif d’une scène érotique. Et ce tout n’a de sens que dans l'alchimie d’un jeu et d’une vidéo. Si Heavy Rain avait été un film par exemple, il n’y aurait eu aucun contrôle donné sur aucun des personnage, la scène aurait été une scène érotique classique. Mais ici la scène laisse sous-entendre que c’est au personnage masculin de prendre la décision ou non de coucher avec Madison et c’est également au personnage masculin d’avoir le rôle dominant lors de l’acte sexuel, précisément parce que c’est le personnage masculin que le joueur contrôle. Madison devient alors un personnage totalement passif au actions d’un personnage masculin, que le joueur contrôle. C’est aussi parce que le jeu nous propose parfois de contrôler Madison plutôt que Ethan, que cette scène fait sens. Si durant tout le jeu on contrôlait Ethan par exemple, cette scène aurait eu globalement la même signification que dans un film. Inutile de revenir d’ailleurs sur le constat que nous faisions plus haut que le jeu vidéo est souvent pensé par et pour des hommes hétéros blancs.

 

Un autre point de vue très souvent partagé dans le monde aujourd’hui : les jeux vidéo rendraient violent. On comprend à ce moment l’approche formaliste d’un Raph Koster, qui comme pour se protéger, dit que le jeu vidéo consiste uniquement à être fun et que ce qu’il représente n’est pas vraiment ce dont il parle vraiment. Finalement c’est toute les “game studies” qui se sont construites en opposition à ces attaques concernant le jeu vidéo. Mon approche ici est différente, j'essaie d’analyser précisément ce qu’est un jeu vidéo, sans en écarter volontairement une partie pour répondre à ce discours qui condamne les jeux vidéo sans aucun fondement. Le cinéma, la télévision, ont d’ailleurs eu exactement le même problème.

Un jeu très souvent critiqué pour sa violence est GTA (Grand Theft Auto). Dans ce jeu, vous incarnez des gangsters dans des villes types américaines et vous pouvez faire concrètement tout ce qui est interdit dans la société. Tuer des civils, aller voir des prostituées, prendre de la drogue, voler, etc. Comme je le disais plus haut dans cette étude, on voit bien à quel point ce jeu annule tout forme d’éthique ou de morale. Alors, est-il condamnable pour cela ? Attise t-il la violence des joueurs ? Rend-il léger le fait de tuer ? A y regarder de plus près, c’est un jeu provoquant et plutôt subversif. Si on analyse GTA dans son ensemble, en comprenant ses mécaniques de jeu et ce que le jeu représente, vous comprendrez que le jeu est en réalité une critique des villes de l’ouest américain. Vous jouez, représentez en fait dans GTA toute la stupidité et la violence sociale qu’il peut se passer dans ces villes, poussé à l'extrême et caricaturé. Vous évoluez dans une ville toujours marquée par des inégalités raciales et de richesse, que le jeu dénonce. Le jeu en vous mettant dans la peau d’un gangster, d’un noir, d’un homosexuel, finalement des personnes que la société du pouvoir dominant occidental ignore et marginalise, GTA vous propose d’incarner et de représenter une révolte, un défouloir sur cette société ultra violence qui marginalise et minorise tout un groupe d’individus.

 

 

 

 

Le jeu par votre représentation raconte quelque chose, mais ce n’est pas parce que vous représentez cela que vous le désirez vrai. De même que ce n’est pas parce qu’un acteur joue le rôle d’un méchant au cinéma qu’il souhaite le devenir réellement. L’approche qui consiste à dire dire qu’il faut analyser le jeu vidéo seulement comme un objet de mécaniques de jeux s’enfermera sur lui même et ne pourra analyser la richesse de ce que peut dire un jeu. GTA n’a de sens que si l’on considère ce que fera le joueur une fois la manette en main. Il ne faut pas écarter non plus la mise en scène. Car en fonction de celle ci, la signification du jeu change du tout au tout.

 

 

 

On se posait la question plus haut de l’incarnation et l’identification. Une scène qui m’a beaucoup marqué dans GTA V à ce sujet est une scène où l’on incarne Trevor qui doit (et veut) torturer quelqu’un. Là où cette scène est très intelligente c’est qu’elle retourne la signification des mécaniques de jeu par sa mise en scène, par sa vidéo. En temps normal, on ne voit jamais la souffrance des personnages à qui l’on fait du mal dans GTA. Toujours cadré en plan très large, le jeu ne nous donne à les voir que comme des objets avec lesquels s’amuser. Dans cette scène de torture c’est totalement l’inverse. Là où le joueur a d'habitude  le choix ou non d’être violent, il est ici obligé de torturer cette personne. J’ai trouvé cette scène très dure à jouer et je la trouve intéressante parce qu’elle m’a fait me poser des questions d’un point de vue personnel. Obligé par les mécaniques de jeu d’incarner les actions de Trevor, je devais, sur le coup, me dire que c’était horrible, que je le détestais pour ce qu’il faisait, etc. d’autant plus que c’était moi qui jouais ses actions.  C’est je pense précisément le but de cette scène, nous faire prendre conscience, par ce savant mélange de mise en scène et d’interactivité, de nos actes et de leurs violence.

Un autre exemple que l’on peut prendre pour le comparer à GTA est le jeu Hatred. Contrairement à GTA, le jeu ne vous laisse aucun choix : vous devez tuer des civils. C’est le but du jeu.

 

Là où GTA vous laisse le choix de faire des choses immorales ou très violentes, et où une obligation de violence signifie plutôt une condamnation de cette violence, un questionnement sur cette violence, Hatred vous l’impose de bout en bout avec un autre message derrière. Ce que dit Hatred c’est que la société telle qu’elle est est détestable et qu’il faut la détruire, rien de plus. Le jeu encourage par exemple à tuer les femme et récompense cela d’un trophée virtuel nommé “misogyne” et fait donc passer la misogynie comme quelque chose de souhaitable, comme un but à atteindre, un “trophée” ce qui est bien sûr tout à fait nauséabond. Les développeurs du jeu sont d’ailleurs soupçonnés de s’être rapprochés de groupes néonazis polonais. En soi le jeu vidéo n’est pas condamnable parce qu’il vous propose des interactions violentes, il l’est quand dans toute la complexité que nous découvrons ici, véhicule des idéaux plus que douteux. D’où l’importance d’étudier ce médium et de ne pas condamner à tort, ou de passer à côté de tout ce que peut dire un jeu riche comme GTA, par exemple.

 

 

---Etude de cas - Utiliser le jeu vidéo comme propagande / Utiliser le jeu vidéo comme un manifeste d’une utopie politique et artistique

 

Dans cette étude de cas, je vous propose de considérer deux approches différentes et deux façons différentes d’appréhender et d’utiliser le jeu vidéo comme moyen d’expression.

 

Une de ces approches est de se servir des jeux vidéos pour y glisser des représentations de propagande. Dans beaucoup de jeux de guerre, souvent développés aux Etats Unis, se glisse une représentation très manichéenne de l’actualité des conflits dans le monde. Systématiquement dans les jeux vidéo de guerre, tels que Call of Duty par exemple, vous incarnerez un soldat américain dont l’ennemi, le méchant ou la cible à abattre dans le jeu (le but) sera systématiquement un russe, un allemand, un coréen du nord, un cubain, etc.

 

 

 

 

On voit bien ici comment une configuration de mécaniques de jeu (éliminer une cible pour “gagner” le jeu) peut en réalité cacher un message de propagande politique très manichéen.

 

Une autre approche, plus fine, pourrait être celle de Jenova Chen. Celui ci explique dans divers témoignages quant au développement de son jeu Journey, quelles étaient ses intentions. En créant Journey, Jenova Chen voulait à la fois que son jeu fasse œuvre en soi, mais dans le même temps que celui ci soit, dans une logique commerciale et politique, accessible au plus grand nombre.

 

 

 

 

 Il veut également que son jeu, multijoueur, soit dénué de toute violence, que son jeu soit comme une utopie sociale. Lorsqu’il réalise des prototype de ce jeu, il réalise que les joueurs se poussent dans le vide, car on leur en laisse la possibilité. Jenova Chen aura une réflexion intéressante à ce sujet. D’après lui, les gens ne sont pas violents ou mauvais en soi, c’est le système, le mécaniques sociales qui peuvent y conduire:

 

“J’en ai toujours été fermement convaincu. Journey est un jeu assez utopique : vous n’y possédez rien. Initialement, nous avions placé des vêtements à collectionner, et les gens se disaient : "Oh non, je ne veux pas croiser d’autres personnes, elles vont les prendre avant moi !". Du coup, les habits sont "partageables" et les joueurs sont bien plus agréables les uns envers les autres. Quand il y a quelque chose à posséder, la compétition ou le vol sont inéluctables. C’est le système qui produit ces comportements, et non le sens moral des individus qui traversent le jeu. Les game designers sont des sortes de législateurs.”

Source

 

 Cette pensée résolument politique, Jenova Chen va la mettre en pratique et l’expérimenter sous une forme artistique et créer une forme fragile d’Utopie virtuelle dans Journey. Dans les mécaniques de jeu il impossible de faire du mal à un autre joueur. Bien au contraire, toutes ses mécaniques sont pensées pour que les joueurs s’entraident. Accompagnées d’une esthétique douce, le jeu m’a procuré beaucoup de plaisir et de joie à la rencontre d’autres joueurs, là où dans la plupart des jeux le multijoueur est source d’angoisse, car ceux ci inévitablement vont tenter de tuer mon avatar. On voit, bien sûr dans Journey, qu’il s’agit bien d’une utopie, qui a des réponses simples à ses problèmes précisément parce que c’est un jeu fait de règles dont il est difficile de se passer. Au problème : “les joueurs se pousse dans le vide quand ils se rencontrent”, Jenova Chen enlève les ravins dans l’espace de jeu. Sauf que dans le jeu, les joueurs se poussent dans le ravin précisément parce que c’est quelque chose qu’ils ne feraient pas dans la vie réelle. Comme nous l’avons vu les enjeux dans les jeux vidéos sont de nature très particulière. Mais Journey, par ses mécaniques, porte en soi et raconte, propose message politique fort, qui consiste à dire qu’un système qui produit des inégalités est bien plus à mettre en cause que les actions violentes d’un individu.

 

 

 

 

 

---Conclusion

 

 

J’ai toujours trouvé regrettables les approches du jeu vidéo qui en écartent un certain potentiel à créer des objets riches. Bien souvent je constate que les gens vont considérer le jeu vidéo exclusivement comme un jeu, en pensant que l’image comme un gadget utile pour faire comprendre des mécaniques de jeu.

De l’autre, je vois le monde de l’art, où encore aujourd’hui le jeu a du mal à y trouver sa place, quand les expériences interactives sont à la mode. Ces vidéos interactives finalement ce sont des jeux vidéos mais sans le jeu, comme si le jeu, qu’on attribue généralement aux enfants, ne pouvait rien dire et n’avait pas sa place dans un musée. Je trouve cette approche tout aussi regrettable. Sans critiquer pour autant le potentiel d’un simple objet interactif, je déplore ici la place encore trop marginalisée du jeu dans le monde de l’art. Combien de fois j’ai entendu en école d’art “enlève le jeu dans ton travail pour qu’il soit plus épuré” “tu ne fais pas du jeu vidéo, tu dis plus, tu fais des expériences interactives”.

Dans cette étude, nous avons bien vu comment un jeu vidéo fait sens et comment il est important d’avoir un regard d’ensemble sur le médium pour ne pas passer à côté de sa richesse. Nous avons affaire à un médium qui a en puissance beaucoup de choses que ne soupçonnent pas forcément son public ou les gens qui en créent. Le jeu vidéo est une représentation en temps réel avec laquelle nous faisons corps, dans un temps et un espace éphémère, où nous faisons face à des mécaniques propres à un jeu, à savoir une bataille pour atteindre un but selon certaines règles. Ce monde fictif où nous sommes acteurs se coupe et s'affranchit de toute règle morale et éthique pour les recréer de toute pièce dans une vidéo où les choix, les buts, les règles et les actions que nous représentons font sens ensemble. Et c’est seulement en comprenant les sens que donnent cette singulière alchimie que nous pouvons, dans une approche artistique consciente d’elle même, consciente des idées qu’elles véhicule au monde, pratiquer, regarder et jouer aux jeux vidéo.

 

 

 

 

Références

 

 

Philosophie des jeux vidéo / Mathieu Triclot / 2011

Homo Ludens / Johan Huizinga / 1938

Examined Life / Discussion filmée entre Sunaura Taylor et Judith Butler / 2008

Saga des God of War / David Jaffe / 2005 - 2017 et plus

Saga des Tomb Raider / Toby Gard ; Phil Campbell / 1996 - 2017 et plus

Inside / Arnt Jensen / 2016

A motivational Model of Video Game Engagement / Przybylski, Andrew K.; Rigby, C. Scott; Ryan, Richard M. /2010

Chapitre 41 de Debugging Game History: A Critical Lexicon / Jesper Juul / 2016

Super Mario Bros / Shigeru Miyamoto / 1985

Donjons et Dragons / Gary Gygax / 1970

Le Suicide / Emile Durkheim / 1897

The Stanley Parable / Davey Wreden / 2013

Expérience de Milgram / Stanley Milgram / 1960 - 1963

Ico / Fumito Ueda / 2001

Ico; un conte de fée numérique,  histoire d’un atelier jeu vidéo / Michael Stora / 2006

A theory of Fun for Game Design / Raph Koster / 2004

Heavy Rain / David Cage / 2010

Saga Les Sims / Will Wright / 2000 - 2017 et plus

Saga des Grand Theft Auto / Rockstar / 1997 - 2017 et plus

Call of Duty: Black Ops / Treyarch / 2010

Journey / Jenova Chen / 2012